Wallonie : pourquoi le nouveau Code du bien-être animal frappe fort

Oubliez les poules pondeuses en cage, les poneys de kermesse ou les abattages sans étourdissement.

Revoilà la Wallonie à l’avant-garde sur la scène internationale ! Adopté par le Gouvernement wallon il y a quelques semaines, le Code du bien-être animal – qui doit encore être soumis notamment au Conseil d’État avant son approbation définitive – est l’un des plus ambitieux au monde. Une révolution dans une région qui trustait bien trop souvent les colonnes des faits divers comme celles des scandales alimentaires. Et pas plus tard que la semaine dernière. Les refuges wallons pour animaux ont en effet appelé à la désobéissance civile et à la dissolution de l’Unité du Bien-être Animal de Wallonie (UBEAW), cet organe chargé des contrôles et des saisies d’animaux. Ambiance. C’est dire si ce Code du bien-être animal – dont l’ancienne mouture date de 1986 – est attendu de pied ferme.

Au programme ? Une volée de mesures qui risquent de recueillir les faveurs des futurs électeurs… et susciter les foudres de nombreux professionnels du secteur. Son article premier donnant immédiatement le ton: “L’animal est un être sensible, c’est-à-dire un être doué de sensation, d’émotion et d’un certain niveau de conscience”. La sensibilité de l’animal se voit donc placer au cœur de ce Code et sa souffrance constitue un aspect décisionnel des dispositions prévues. Pour détenir un animal en Wallonie, il faudra d’ailleurs un permis! Un permis immatériel que chaque citoyen possédera automatiquement et sans formalité. Jusqu’à ce qu’une décision administrative ne prononce son retrait. Une première mondiale. Reste qu’un propriétaire blacklisté pourra toujours demander à une autre personne d’acquérir un chien ou un chat à sa place. “C’est vrai, acquiesce Carlo Di Antonio, ministre wallon du bien-être animal et instigateur de cette grande réforme. Mais pour saisir une bête, auparavant, il fallait mener une enquête afin de prouver la maltraitance et obtenir une décision de justice. Désormais, le fonctionnaire régional pourra constater la détention et le défaut de permis chez cette personne.”

Le Code déclare également la guerre aux abandons d’animaux. Un phénomène en pleine croissance en Belgique où un chien sur quatre finit sa course en refuge. Le texte rappelant que l’identification et l’enregistrement des clebs et des matous – ce qui permet notamment de retrouver les auteurs d’abandons – est déjà obligatoire. Mais loin, très loin, d’être systématiquement appliqué… Tout comme l’obligation de stériliser les chats. Alors, comment l’administration wallonne compte-t-elle faire appliquer la loi ? “Nous n’allons évidemment pas envoyer des inspecteurs frapper aux portes, rassure le ministre. En revanche, tout un dispositif de contraintes va rendre la non identification de plus en plus difficile. Si l’on souhaite vendre ou donner des chiens et des chats, ou si l’on fait de la publicité, on devra donner ces matricules. Même logique en ce qui concerne les soins. Les vétérinaires ayant finalement décidé d’imposer l’identification lors de leurs prestations.” Avant de préciser que les agents de quartier pourront désormais, sur base de soupçons, contrôler l’identification ou la stérilisation chez les particuliers. Le nouveau cadre législatif ambitionne également de brider la publicité vantant la commercialisation et le don d’animaux afin de lutter contre les acquisitions impulsives.

Au rayon animaux domestiques, toujours, il sera désormais interdit d’offrir des poules, poissons rouges ou canaris lors de concours, de teindre son toutou, de collecter des poils ou des plumes sur des animaux vivants ou d’améliorer les capacités vocales d’un oiseau en l’aveuglant (!). Fini aussi les poneys et chevaux condamnés à marcher en rond dans les foires et les kermesses. “Il reste une quinzaine d’exploitants en Wallonie et on va bien sûr leur laisser le temps de se réorienter. Sinon on fait aussi de très beaux chevaux en bois ou en plastique…” Persona non grata, également, l’animal non domestique au cirque. Une interdiction déjà effective depuis plusieurs années mais sa définition reste sujette à de nombreuses interprétations. Même les plus loufoques. “Il reste encore quelques indésirables à bannir comme les chameaux ou les lamas”, pointe aussi Carlo Di Antonio.

“Cages bien-être animal”

Mais la mesure wallonne la plus populaire est sans doute l’interdiction des poules pondeuses en cage. Les fameux œufs de classe 3. En Wallonie, cela concerne encore 9 exploitations. “Un cadre qui va même plus loin que la législation européenne”, se félicite le ministre Di Antonio. Ce qui fait évidemment réagir certains exploitants qui se plaignent d’avoir investi des montants colossaux pour se conformer aux mesures précédentes. “L’idée est également de leur laisser le temps de changer d’activité. Le dernier permis a été octroyé en 2012 et court donc jusqu’en 2032. Mais il est fort à parier que le marché leur imposera ce changement bien avant car il y a beaucoup moins de demandes pour ce type d’œufs.”

Une initiative saluée par Gaia, l’association de défense des droits des animaux. “C’est une réelle avancée qui place la Wallonie parmi les États membres les plus progressistes,approuve Michel Vandenbosch, son président. Ces “cages aménagées bien-être animal” qui avaient remplacé les modèles classiques sous l’impulsion européenne offraient en fait à chaque poule pondeuse une superficie d’environ une page A4 au lieu de deux tiers de page. En matière de bien-être animal, c’était donc de la poudre aux yeux! Dès qu’une poule se déplace, elle empêche une autre de picorer et le peu de nids disponibles les obligent à faire la file pour pondre. Après 13 mois de “carrière” intensive, elles en ressortent déplumées.”

Astérix chez les dauphins

Reste quelques bémols de taille pour l’association. “Nous accueillons très positivement ce permis immatériel pour détenir un animal mais nous nous demandons pourquoi les bêtes de rente, de production, ne tombent pas également sous ce régime? Les animaux de compagnie sont-ils les seuls à souffrir? Des cas extrêmement graves de maltraitance chez les éleveurs défraient pourtant régulièrement la chronique. Mais je constate que les lobbys agricoles ont encore beaucoup de poids… Même logique en ce qui concerne le gavage des oies et des canards. Le gouvernement maintient cette exception à la loi qui interdit de nourrir de force les animaux. J’espère que le parlement contestera ces discriminations.” Avant de saluer une autre mesure, sans doute beaucoup plus anecdotique: l’interdiction de détenir des cétacés en captivité. “C’est vrai, cela n’existe pas en Wallonie. Du moins pas encore. Mais cela nous assure de ne jamais voir un delphinarium comme à Bruges ou au Parc Astérix.”

Une dernière norme qui ne risque pas de provoquer un tollé. Contrairement à celle qui confirme l’interdiction des abattages rituels sans étourdissement au 1er septembre 2019 ou celles consacrées aux expériences scientifiques menées sur les animaux. Transposant ainsi le droit européen, et allant même au-delà, la Wallonie bannit les expériences qui n’ont pas de finalité liée à la santé humaine ou animale. Notamment celles relatives aux cosmétiques et aux détergents. Le nouveau code instaure également un Comité wallon de protection des animaux d’expériences. Organe qui viendrait superviser les actuelles commissions d’éthique locales des universités et dont feraient partie des représentants d’associations de protection animale.

On peut s’attendre à ce que la présence de ces associations, dont l’objectif prioritaire est l’abolition de l’expérimentation animale, mène au blocage complet de nombreux projets en sciences du vivant.

Et là, ça fait clairement grincer les dents. “On peut s’attendre à ce que la présence de ces associations, dont l’objectif prioritaire est l’abolition de l’expérimentation animale, mène au blocage complet de nombreux projets en sciences du vivant”, peste Éric Muraille, chercheur en immunologie à l’ULB, dans une carte blanche publiée dans La Libre. “Les commissions d’éthique locales fonctionnent relativement bien en ce qui concerne l’établissement des règles, constate Carlo Di Antonio. L’idée, ici, est de posséder un organe qui a une vision plus globale sur le territoire, peut diffuser des bonnes pratiques et intervenir localement si quelque chose se passe mal. Mais les décisions seront prises par l’administration et non par ce comité. Ce ne sera donc pas Gaia qui va décider si on peut mener une expérience scientifique sur des animaux !”

Une volée de mesures qui doivent encore être approuvées par le Conseil d’État et le parlement wallon. “On devrait voir ce Code entrer en vigueur dès septembre”, espère le ministre wallon du bien-être animal. Du moins les articles qui n’auront pas été bloqués par la juridiction administrative et ne nécessiteront pas d’arrêtés. Comme ce sera le cas, notamment, pour la création d’un label wallon d’éleveurs de chiens, un autre cadre législatif destiné à contrer les usines à chiots. Reste que le plus gros grain de sable capable de gripper la mécanique est ce transfert de pouvoirs de la Justice vers les fonctionnaires régionaux…

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