Vieilles poules, œufs éthiques : un modèle pondu d’avance ?

© DURAND FLORENCE/SIPA

Géraldine, à peine plus d’un an, est une poule pondeuse aux belles plumes blanches. Contrairement aux 32 millions de ses congénères qui vivent en cage en France sur la surface d’une feuille A4 sans jamais toucher la terre ferme, notre gallinacée peut sortir gambader en plein air avec ses voisines de hangar. A sa naissance, son bec n’a pas été «épointé», une mutilation douloureuse pour les volailles et généralisée dans les couvoirs. Pourtant, d’ici quelques mois, un funeste destin attend Géraldine : la «réforme». Qu’elles soient issues d’un élevage bio (code 0 sur les œufs), plein air (1), au sol (2) ou en cage (3), les poules pondeuses sont en effet menées à l’abattoir au bout de 18 mois, malgré une espérance de vie d’une dizaine d’années. La raison ? La ponte se fait de plus en plus irrégulière avec l’âge et ne satisfait plus la demande d’œufs, de l’ordre de 220 à 230 par Français en 2016 – soit 14,3 milliards par an.

Goutte.La mort de ces millions de Géraldine est-elle pour autant une fatalité ? A la tête de la start-up «Poulehouse», trois entrepreneurs se sont lancés en février dans la vente d’œufs bio garantis «sans souffrance». Leur démarche, encore expérimentale, consiste à laisser pondre les poules jusqu’à leur belle mort dans des conditions respectueuses de leurs besoins : pour l’instant, une ferme de 12 hectares en Haute-Vienne.«Ce refuge n’est qu’une étape pour démontrer qu’on peut laisser vieillir les poules et commercialiser leurs œufs, explique d’ailleurs Fabien Sauleman, cofondateur de cette microsociété. Les consommateurs sont prêts à faire changer les choses et à y mettre le prix, à terme l’idée est que ce modèle soit rentable pour l’éleveur et qu’un label sans souffrance soit créé.» Car, pour l’heure, l’œuf éthique de «Poulehouse» est loin de faire modèle. Avec 9 000 poules et quelque 100 000 œufs vendus dans les enseignes Biocoop, le projet ne pèse qu’une goutte d’eau dans la production hexagonale. «Là où cette initiative est intéressante, c’est qu’elle permet de dire : on ne tue plus,observe Agathe Gignoux, de l’antenne française de l’association Compassion in World Farming (CIWF). Difficile néanmoins de dire si ce modèle est viable à long terme pour la production de volumes importants. Il permet au moins d’affirmer la nécessité de réduire notre consommation.»

Besoins.En outre, cette initiative ne permet pas d’éradiquer toutes les souffrances des pondeuses recensées sur le papier. C’est le cas du sexage, soit le tri des poussins juste après l’éclosion. Selon l’association L214, chaque année, 50 millions de poussins mâles sont gazés ou broyés vivants en France parce que jugés inutiles.

«Aujourd’hui, dans les élevages traditionnels, les impératifs biologiques de l’espèce sont loin d’être garantis, soulève Brigitte Gothière, cofondatrice de L214. Si on doit prendre en compte tous les besoins des poules, comme le respect des groupes sociaux ou le fait que ce sont des animaux arboricoles, il y aura des problèmes pour assurer la demande massive d’œufs.» La militante reconnaît que cette alternative permet au moins de faire évoluer les méthodes d’élevage. De plus en plus de grandes enseignes de la distribution et de la restauration promettent de mettre fin à l’élevage en batterie… d’ici cinq à dix ans. Pas de quoi offrir une retraite à Géraldine.

Florian Bardou

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