Dominique Delpouve vit à Pitgam depuis 1989. En novembre, elle a appris dans nos colonnes qu’un agriculteur prévoyait la construction d’un poulailler de près de 107 000 volatiles, à 580 mètres de son habitation. « Un non-sens » pour l’ancienne visiteuse médicale, qui a décidé de mener le combat contre ce projet.
« En entendant les vœux de Macron, j’ai eu le déclic. Il disait : «Quand vous vous levez le matin, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays.» Je me suis demandé ce que je pouvais faire pour mon village. Et j’ai lancé ma pétition. »
Dominique Delpouve est une femme organisée, bien informée – comme en témoigne l’épaisse revue de presse qu’elle s’est constituée – et bien entourée. Trois semaines après sa mise en ligne, le texte intitulé « Non aux 107 000 poules pondeuses à Pitgam », qu’elle compte adresser au préfet de région, a déjà recueilli plus de 35 400 signatures sur le site mesopinions.com.
Ses soutiens affluent de toute la France, et même de plus loin (Italie, États-Unis), sur le thème de la défense du bien-être animal et du rejet des élevages industriels. Mais pas seulement. Par un patient travail de porte-à-porte, Dominique Delpouve convainc aussi ses concitoyens du village, pas toujours au courant du projet.
« Plusieurs habitations se trouvent dans les vents dominants. Pour moi, c’est un non-sens de construire à cet endroit. »
« Je reçois un accueil formidable. Seules trois personnes ont refusé de signer. » Portée par cet élan, et soutenue par des associations locales comme l’Adelfa (défense de l’environnement), elle affiche sa détermination : « Prochaine étape : aller voir Nicolas Hulot (ministre de la Transition écologique et solidaire, ndlr). »
L’ampleur de la mobilisation vient peut-être de la façon dont le projet d’élevage intensif percute l’image du village d’à peine 1 000 habitants, réputé pour son moulin et son carnaval. Ces dernières années, la tranquillité de Pitgam a été perturbée par l’installation d’une station de compression de gaz naturel , dans le prolongement du terminal méthanier, qui a fait fleurir des dizaines de panneaux « gaz non odorisé » au bord des routes communales. En 2016, l’agrandissement d’un élevagepassé de 30 000 à 80 000 poulets, route de Crochte, a aussi soulevé des critiques.
« La parcelle où est prévu le futur poulailler se situe en bordure du Deullaert Gracht, plusieurs habitations se trouvent dans les vents dominants. Pour moi, c’est un non-sens de construire à cet endroit », insiste Dominique Delpouve. Elle redoute pêle-mêle « le bruit des moteurs qui tourneront pour sécher les fientes des poules, la poussière qui va forcément se retrouver dans le wateringue, les odeurs, le passage des camions ». Et regrette que ces nuisances « profitent surtout à une entreprise belge. Ici, le projet rapportera à peine plus d’un emploi ».
La réponse du maire
Pour la maire de Pitgam, Brigitte Decriem, la mobilisation est un peu tardive. « L’enquête publique (terminée le 15 décembre, ndlr) permettait aux gens de s’informer et de s’exprimer, regrette-t-elle. Il s’agit sans doute davantage d’un problème de société par rapport à l’enfermement des animaux. »
Ne manque que l’aval du préfet
Plusieurs autorités se sont déjà prononcées sur le projet.
– La DREAL. L’autorité environnementale a rendu un avis détaillé concernant l’étude d’impact fournie par l’agriculteur en amont de l’enquête publique. Elle a notamment émis des réserves sur le chapitre Qualité de l’air, en recommandant « d’étudier comment limiter les émissions de poussières et d’ammoniac des bâtiments ».
– Le conseil municipal. Lors de la réunion du 16 janvier, à l’unanimité, les élus pitgamois ont donné un avis favorable à la demande de M. Dutertre, à condition que le projet respecte les normes en vigueur, le voisinage et les équipements de voirie, par le biais d’un trafic poids lourds régulé. Il a également « vivement souhaité que l’implantation d’une haie soit prévue en bordure de propriété ». « On est une commune rurale et le projet respecte la réglementation. Si les gens veulent s’agrandir, on ne peut pas les en empêcher », a commenté Brigitte Decriem, maire.
– Le commissaire enquêteur. La préfecture du Nord indique qu’à la suite de l’enquête publique qui s’est terminée le 15 décembre, le commissaire enquêteur a rendu un avis favorable au projet. Il y a ajouté « cinq recommandations techniques visant à assurer l’intégration du site dans son environnement local ». Ce document servira de base à la décision du préfet, qui autorisera ou non la construction du poulailler.
Le projet
François Dutertre, l’agriculteur qui porte ce projet, possède déjà un élevage de 4 880 poules pondeuses de plein air au 57, rue du 43e-Ricca à Pitgam. Il envisage de créer sur la parcelle d’en face, à proximité immédiate de la station de compression GRT Gaz, un nouvel élevage, hors-sol cette fois, d’une capacité de 106 938 poules. Production annuelle estimée : 31,5 millions d’œufs de catégorie 2.
Ces œufs seront surtout destinés à la société belge De Biest, qui s’est associée à l’éleveur français et finance les deux tiers de l’investissement de ce nouveau poulailler (2,47 millions d’euros). Elle fournira en échange les poules pondeuses, et se remboursera sur le prix des œufs, pendant douze ans.
Le projet permettra la création d’1,3 emploi. L’alimentation des poules, la récupération des œufs et des fientes seront entièrement automatisés. Ces dernières seront séchées sur place, pour être vendues comme engrais. Les rejets d’ammoniac de l’exploitation feront l’objet d’une déclaration annuelle.