L’introduction de la vidéosurveillance à titre expérimental, la non-adoption de l’interdiction de broyage des poussins mâles, la non-adoption de l’interdiction totale des élevages de poules pondeuses en batterie, la non-adoption de l’interdiction des cages pour l’élevage des lapins sont des preuves de déception alors que l’arsenal législatif déjà instauré mettent l’accent sur le bien-être animal. Est-ce peut-être que la notion est mal définie? Un point sur cette notion semble nécessaire.
D’un point de vue juridique, la protection du bien-être animal s’est renforcée depuis que l’animal est reconnu comme un être vivant doué de sensibilité[2]. Ainsi, sa protection en tant qu’être sensible a connu de longues évolutions et n’a cessé de faire parler d’elle. L’Union européenne s’est positionnée fermement dans ce sens, surtout depuis le traité de Lisbonne[3]. Ce dernier a permis de bien marquer l’association de la qualité d’être sensible au concept de bien-être animal, ce qui constitue une véritable promotion[4].
L’animal s’est vu protéger originairement par le concept de bien-être animal, tel qu’il a été conçu dans une Déclaration relative à la protection des animaux à laquelle s’en tenait le traité de Maastricht du 7 février 1992. Or, la déclaration ne faisait que référence au bien-être animal sans lui conférer de force contraignante. C’est depuis le Protocole sur la protection et le bien-être des animaux qui fut annexé par le Traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997 au Traité instituant la Communauté européenne, que le bien-être animal s’est vu recevoir une protection plus effective. Les progrès ne s’arrêtent pas là puisqu’il occupe l’article 6 ter dans le Traité de fonctionnement de l’Union européenne.
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Le professeur Jean-Pierre Marguénaud souligne l’avancée symbolique en énonçant que “les dispositions relatives à la protection et au bien-être des animaux ont donc quitté le wagon des protocoles pour monter de plain-pied dans la locomotive du traité“[5]. D’ailleurs, son article met en avant le progrès plus substantiel au niveau de l’association du bien-être animal à sa sensibilité. Au moment du Protocole, les parties étaient désireuses d’assurer une plus grande protection et un meilleur respect du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles[6] mais il ne s’agissait que de simples déclarations de bonnes intentions dépourvues d’effet contraignant. Aujourd’hui, l’article 6 ter du Traité de Lisbonne dispose que “l’Union et les États membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles“.Union et les États membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles
Cette association entre le bien-être animal et la reconnaissance de la sensibilité animale permet de ne plus considérer l’animal comme un simple objet du marché et de prendre en compte son bien-être de façon complète. En effet, il ne s’agit plus seulement d’interdire la maltraitance animale, il doit aussi être protégé positivement. Pour autant, aucune définition n’est donnée par les textes. Des critères ont pu être établis autrement.
Par conséquent, les critères du bien-être animal prennent en compte différents facteurs: physiologique, environnemental, sanitaire, social et psychologique[7]. Le Royaume-Uni a été un acteur fondamental dans la détermination des indicateurs du bien-être animal. Le Farm Animal Welfare Council, une organisation non gouvernementale créée en 1967, énonce que le bien-être animal sera assuré dès lors que plusieurs conditions sont réunies: absence de faim, de soif et de malnutrition, maintien du confort de l’animal, absence de douleur physique, de maladie ou de blessures, expression des comportements normaux de l’espèce et absence de peur ou d’anxiété.
À l’échelle européenne, une méthode standard est réalisée pour l’évaluation du bien-être des animaux dans les filières alimentaires. Il s’agit du WelfareQuality qui a pour objectifs de concilier les attentes sociétales et les besoins des marchés.
Elle propose plusieurs critères qui sont les suivants:
– Les animaux ne doivent pas souffrir de faim prolongée.
– Les animaux ne doivent pas souffrir de soif prolongée.
– Les animaux doivent bénéficier d’une aire de couchage confortable.
– Les animaux doivent bénéficier d’un confort thermique.
– Les animaux doivent disposer de suffisamment d’espace pour pouvoir se déplacer librement.
– Les animaux doivent être exempts de blessures physiques.
– Les animaux doivent être exempts de maladies.
– Les animaux ne doivent pas souffrir de douleurs provoquées par des soins, des manipulations, un abattage ou des procédures chirurgicales inappropriés.
– Les animaux doivent avoir la possibilité d’exprimer un comportement social normal et non nuisible.
– Les animaux doivent être manipulés avec précaution en toute situation.
– Les émotions négatives telles la peur, la détresse, la frustration ou l’apathie doivent être évitées et les émotions positives, telle la sécurité ou la satisfaction, doivent être favorisées.
Plus récemment, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) s’est intéressée à la question animale. Dans un communiqué du 25 avril 2018, elle en propose une définition qui constituera “le fondement qui définira le cadre de ses futurs travaux de recherche et d’expertise et sur laquelle l’Agence se basera pour ses avis ultérieurs dans ce domaine“. Effectivement, le bien-être animal serait “l’état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoin physiologiques et comportementaux, ainsi que de ses attentes. Cet état varie en fonction de la perception de la situation par l’animal“[8]. L’Anses a le mérite d’étoffer cette définition en appuyant bien sur le fait qu’il convient de considérer l’animal comme un être singulier. En effet, elle précise que le concept de bien-être s’applique à la dimension mentale du ressenti de l’animal dans son environnement. En ce sens, c’est l’individu particulier dans un environnement donné qui est pris en compte.
Elle ajoute qu’une bonne santé, un niveau de production satisfaisant ou une absence de stress ne suffisent pas mais qu’il faut aussi se soucier de ce que ressent l’animal. En mettant l’accent sur le ressenti de l’animal, l’Anses opère son individualisation et répond de façon conforme au statut d’être vivant doué de sensibilité. De plus, elle précise que “si les actions humaines envers l’animal sont un préalable indispensable au bien-être des animaux, il est nécessaire cependant de se tourner vers l’animal pour s’assurer de l’efficacité de ces actions pour assurer son bien-être“.
C’est pourquoi, dans sa définition, la variation de l’état mental de l’animal en fonction de sa perception de la situation est prise en considération. Ce point est important car il ouvre à la possibilité d’évolutions qui se traduiraient par l’intégration de “nouvelles connaissances sur les états mentaux des animaux et en particulier sur leur niveau de conscience“. La définition donnée par l’Anses souligne ainsi l’importance de prendre en compte l’animal en tant qu’être individuel. Elle ne peut qu’être remarquée car elle correspond au sens attendu de leur qualité d'”être vivant doué de sensibilité“. Cependant, elle reste circonscrite à l’Anses et peut-être serait-il intéressant de la considérer à plus haute échelle de façon à la généraliser et à l’ajouter à tout ce qui a déjà pu être fait?
L’Anses a proposé cette définition dans un contexte politique mouvant. En effet, le bien-être animal ne cessant de faire parler de lui, la Direction générale de l’alimentation, en France a développé un projet de stratégie pour la période allant de 2015 à 2020. Ce projet permet de définir les orientations et les priorités d’actions du ministère de l’Agriculture en matière de bien-être animal. L’ancien ministre Stéphane Le Foll avait par ailleurs présenté ce plan d’action pour le bien-être animal en avril 2016. Cinq axes prioritaires avaient été définis: partager le savoir et promouvoir l’innovation, des acteurs responsables à tous les niveaux, poursuivre l’évolution des pratiques vers une production plus respectueuse de l’animal, prévenir et être réactif en cas de maltraitance animale et informer chacun des avancées et des résultats du plan d’action (idée de transparence). Ce plan d’action est actuellement mis en œuvre avec notamment la création du Centre national de référence sur le bien-être animal (correspondant au premier axe). Selon ce plan d’action, il est possible de s’interroger sur le choix adopté par les sénateurs concernant le projet de loi agriculture et alimentation.
Au regard du contexte actuel, la protection du bien-être animal a du mal à trouver sa place, malgré sa reconnaissance juridique. Les raisons varient entre les choix politiques adoptés et la définition même du bien-être animal. Le bien-être animal reste une notion encore floue… Or, il conviendrait d’y remédier dans l’intérêt des animaux en tant qu’êtres vivants doués de sensibilité.
[2]Jean-Pierre MARGUÉNAUD, L’entrée en vigueur de “l’amendement Glavany”: un grand pas de plus vers la personnalité juridique des animaux, RSDA, 2/2014, p. 15 et s., http://www.unilim.fr/omij/files/2015/04/RSDA-2-2014.pdf ; Jean-Pierre MARGUÉNAUD, La promotion des animaux au rang d’êtres sensibles dans le Traité de Lisbonne, RSDA, 2/2009, p. 13-18: http://www.unilim.fr/omij/files/2013/10/59_RSDA_2-2009.pdf.
[3] Appelé aussi Traité de fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), signé le 13 décembre 2007 à Lisbonne, et entré en vigueur le 1er décembre 2009.
[4] Jean-Pierre MARGUÉNAUD, La promotion des animaux au rang d’êtres sensibles dans le Traité de Lisbonne, RSDA, 2/2009, p. 13-18: http://www.unilim.fr/omij/files/2013/10/59_RSDA_2-2009.pdf.
[5]Ibid.
[6]Tels sont les termes énoncés dans le libellé du Protocole.
[7] Muriel FALAISE, Droit animalier: quelle place pour le bien-être animal?, RSDA, 2/2010, p. 11-34: http://www.unilim.fr/omij/files/2013/10/61_RSDA_2-2010.pdf.