
Depuis deux ans, l’association Poule pour tous rachète des gallinacées réformées mais encore capables de pondre et les revend à des particuliers. Une façon de leur éviter l’abattoir au bout de seulement dix-huit mois de ponte.
A la fois nourricière et centrale de recyclage pour les déchets organiques, la poule pondeuse serait-elle l’avenir de l’humanité ? Thomas Dano, jeune homme alerte de 28 ans qui se démène toute l’année pour sauver de l’abattoir des milliers de gallinacées, n’est pas loin de le penser. C’est en tout cas avec la foi d’un Zorro tout entier acquis à la cause qu’il sillonne les routes de l’Hexagone avec un seul mot d’ordre : des «poules pour tous» ! L’histoire de l’association du même nom qu’il a créée en 2017 à La Chapelle-sur-Erdre, près de Nantes, a démarré tout bêtement après la razzia d’un goupil vorace venu décimer le petit poulailler paternel. Bilan : huit poules sur le carreau. Thomas Dano, qui suit alors une formation de plombier et n’a pas spécialement l’âme paysanne, se met en tête de reconstituer le cheptel et tombe par hasard sur l’annonce en ligne d’un éleveur vendéen souhaitant se débarrasser de ses poules : 2 euros l’unité. Ni une ni deux, sur un coup de tête, le jeune homme en achète… 1 000 ! Sans avoir la moindre idée de ce qu’il va en faire. «Mon frère m’a pris pour un fou ! se souvient l’intéressé. Mais j’ai passé une petite annonce sur Internet et le soir même j’en avais placé 250 et en quelques semaines tout le lot était adopté !»
7 euros l’animal
Tout en découvrant l’engouement de ses concitoyens pour les poules pondeuses, Thomas Dano réalise le gâchis que représente le destin ordinaire de ces animaux dont la durée de vie en élevage n’excède pas dix-huit mois avant d’être envoyés à l’abattoir. «Passé ce délai, elles pondent moins mais peuvent encore fournir des œufs pendant trois ou quatre ans, souligne le président de Poule pour tous, soit un potentiel de 1 000 œufs ! J’ai décidé de leur donner une seconde vie.»
Sauver des lots de poules promises à l’abattage devient une idée fixe, Thomas Dano traquant les éleveurs susceptibles de lui céder leurs pondeuses pour trois à dix fois le prix que leur proposent les abattoirs. Une fois rachetées par lots de 1 000, 2 000, voire 3 000 têtes, les poules ont d’abord été ramenées sur un terrain de La Chapelle-sur-Erdre où les personnes intéressées venaient chercher leurs commandes, à moins qu’elles ne se fassent livrer à domicile. «Au début, je parcourais 400 km pour livrer 18 clients par jour, se souvient le jeune homme. Ce n’était pas tenable. J’ai commencé à mettre en place des points relais chez des particuliers pour regrouper les commandes. Ça peut être une ferme ou une maison avec seulement un garage. Les poules sont livrées le matin dans des cartons adaptés et retirées l’après-midi.»
D’un rayon de 30 à 40 km autour de Nantes, Poule pour tous commence à livrer dans tout le Grand Ouest puis étend son réseau à toute la France, même si le quadrilatère Bordeaux – Clermont-Ferrand – Paris – Cherbourg demeure sa principale zone d’action, avec des ventes qui démarrent désormais souvent chez l’éleveur lui-même.
L’association compte aujourd’hui 8 400 «amis» sur sa page Facebook et 125 points relais, tous dévoués à la cause, dont le nombre connaît une croissance exponentielle. A 7 euros l’animal, acheté sur commande sur le site de l’association, tout le monde veut sa poule pondeuse. «C’est devenu terriblement à la mode d’avoir des poules qui recyclent tout et donnent des œufs en échange. C’est la poubelle de demain !» relève Thomas Dano, qui compte parmi ses clients aussi bien le riche bobo parisien disposant d’un jardin (condition indispensable à l’achat) que le modeste locataire d’un pavillon en zone périurbaine. A raison de 150 à 200 kilos de déchets alimentaires absorbés par an, la poule est en effet une redoutable machine à éliminer les épluchures tout en offrant des œufs frais à la saveur inégalable.
«Très affectueux»
«Les omelettes et les gâteaux ne sont jamais aussi bons que lorsqu’ils sont fabriqués avec vos propres œufs», abonde Laetitia, jeune trentenaire travaillant dans l’événementiel et propriétaire de trois poules acquises chez Poule pour tous. Un achat motivé par le besoin de reproduire le poulailler qu’elle possédait sur l’île de la Réunion, où elle vivait auparavant, mais également pour la satisfaction d’avoir fait une bonne action et le plaisir qu’en tire son fils de 3 ans chargé de leur alimentation. «Les gens sont captivés par leur comportement, constate Thomas Dano. C’est très marrant à regarder. C’est aussi un animal très sociable et très affectueux.»
Il est bon également de savoir que les poules aux belles plumes rousses de l’association proviennent exclusivement d’élevages bios ou assimilés, ayant toutes gambadé en plein air pour une adaptabilité assurée au fond du jardin. A ce jour, Thomas Dano, qui vit encore du RSA mais dont l’association compte une salariée et un stagiaire, aura sauvé 25 000 poules pondeuses d’une fin prématurée. Une paille, comparé aux 50 millions qui vont chaque année à l’abattoir. Mais comme il le confesse, philosophe : «C’est déjà ça.»