La vidéo choc de L214 sur un élevage défaillant des Côtes-d’Armor fait peser le soupçon sur la filière des poules pondeuses en cage. Mais celle-ci a déjà entamé une mutation sans précédent, ce que l’association omet de rappeler.
Le concours du présentateur vedette Stéphane Bern est un appui de poids à L214, l’association qui veut abolir toute utilisation des animaux, même domestiques. Cette fois l’association manque sa cible.
Certes, l’élevage visé, dans les Côtes-d’Armor, a fait preuve de défaillances. La marque Matines, filiale du géant coopératif Avril, a d’ailleurs immédiatement suspendu son approvisionnement auprès de cet élevage de plus de 130 000 poules. Une grosse unité parmi les 73 qui livrent leur production à Matines.
L’un des responsables de Matines, contacté peu après la diffusion de la vidéo, indique qu’ « une équipe Matines a été dépêché sur place ce matin et a constaté que, pour une raison inconnue, une dérive dans la conduite de l’exploitation est intervenue depuis notre dernier audit, en septembre, qui avait alors montré que l’élevage était très bien. »
« Des images anciennes »
Matines conteste certaines des allégations de l’association sur le respect des normes pour les cages et installations de l’élevage. « Cela fait partie du travail de sape de L214. On peut ne pas être d’accord avec les normes, mais on ne peut pas affirmer que l’élevage ne les respecte pas à ce point de vue, puisqu’il a été validé par l’administration. » Cet élevage devait à nouveau être contrôlé dans le cadre d’un audit du groupe le 19 décembre. « A ce jour, nous avons audité 73 % de nos élevages fournisseurs, le reste devant l’être d’ici le début de l’année prochaine. »
Le groupe précise cependant que jusqu’à maintenant, le processus d’audit des élevages n’est pas inopiné car, « à la suite d’une concertation avec les éleveurs, il a été décidé que notre relation repose sur la confiance ». Les contrôles pourraient-ils être un jour réalisés sans que les éleveurs soient prévenus à l’avance ? « La question se reposera sans doute », indique-t-on chez Matines.
Reste que pour Yves-Marie Beaudet, éleveur et président de la section Œufs de consommation à l’Union des groupements de producteurs de viande en Bretagne (UGPVB), « il y a un mouvement de transformation en profondeur de la filière, on ne peut s’arrêter sur un reportage ».
La mutation « ne peut pas aller plus vite »
Celui qui s’interroge sur « les compétences de Stéphane Bern en matière d’élevage », rappelle que « la filière de la poule pondeuse a engagé une mutation vers l’œuf de poule en élevage alternatif : plein air, plein air bio, au sol. Avec un objectif de parvenir à 50 % de la production en 2022, peut-être une part plus importante pour certains en 2025. On ne peut pas aller plus vite que cela. Il y a des impondérables qui sont techniques, financiers, et avec un problème d’accès à du foncier. »
Yves-Marie Beaudet précise que « le coût de production d’un œuf en cage, c’est 12 centimes, en plein air, c’est 20, en plein air bio, c’est 30. C’est une démarche en profondeur, qui suppose un soutien. Certains éleveurs sont encore lourdement endettés pour la mise aux nouvelles normes européennes imposant des cages plus grandes. Il faudra aussi du social pour ces éleveurs. L’amont nous soutient en passant des contrats d’approvisionnement qui prennent ces impératifs en compte. Mais encore faut-il qu’au bout de la chaîne, la grande distribution suive en matière de prix. À ce jour, ce n’est pas encore le cas. »
Accompagner des éleveurs qui viennent d’investir
Chez Matines, leader français de l’œuf, on rappelle l’objectif très ambitieux désormais fixé : « passer à 70 % de la production en élevage alternatif et 30 % seulement en cages à moyen terme », c’est-à-dire aux environs de 2022. Ceci alors que le rapport actuel « est l’inverse ». C’est donc « un grand coup de gouvernail », sachant que « l’élevage qui sera dominant sera certainement le plein air, sauf peut-être pour certains éleveurs ne disposant pas de possibilité d’accéder à des terres, dont on devra reconvertir l’élevage en production au sol ». Mais pour Matines, la tendance est claire : « ce que le marché demande, c’est bien du plein air, pour partie en bio ».
Le groupe accompagne les éleveurs en apportant aux banques une garantie quant aux contrats qui seront passés avec les nouveaux modes de production et à la viabilité des élevages.
Une flambée du cours de l’œuf
Seul élément positif dans ce défi, la pénurie actuelle d’œuf en Europe et la flambée des prix qui s’en est suivie. Une conséquence de la crise due au scandale du Fipronil en août dernier. Le déséquilibre entre offre et demande est de l’ordre de 4 à 5 % de déficit, en raison de la baisse de production de la Belgique et des Pays-Bas, au cœur du scandale. Les cours ont flambé de 150 % au profit des éleveurs, la filière française, réputée pour sa rigueur, tirant les marrons du feu.
Ceci ne fait cependant pas l’affaire des industriels des ovoproduits, qui achètent les Œufs et les transforment à destination de l’industrie agroalimentaire. Pour eux, la répercussion des prix auprès des clients pose encore un gros problème.
Quand les distributeurs grillent les normes
Monoprix a été le premier, en avril 2016, à bannir les œufs pondus en cages de ses rayons. Depuis, d’autres grandes surfaces et des industriels se sont engagés dans la même voie avec des dates butoirs entre 2022 et 2025. Réel souci pour le bien-être des poules ou stratégie marketing ? En tout cas, cette décision bouscule les producteurs d’œufs standards.
Cette filière regroupe à peine 400 élevages en France dont une majorité dans l’Ouest. La Bretagne a elle seule abrite 20 millions des 47 millions des poules élevées en cages en France.
Quel coup de pouce de la distribution ?
Le virage brutal pris par les acheteurs de la grande distribution bouscule les éleveurs, pour la plupart réunis au sein de quatre organisations de producteurs en Bretage (Sanders, Triskalia, Cecab, Le Gouessant), Agrial en Normandie et Terrena en Pays de la Loire. Un plan porté par le CNPO, l’interprofession du secteur, vise à atteindre une moitié d’œufs alternatifs en France à l’horizon 2022.
La mise aux normes bien-être des élevages en cages a coûté très cher. Pour un bâtiment de 100 000 poules, la jauge moyenne en Bretagne, l’investissement était de 2 millions d’euros en neuf et 1,2 million d’euros pour le seul remplacement des cages. La plupart des élevages sont en cours d’amortissement. Les producteurs doivent convaincre les banquiers de leur accorder de nouveaux prêts pour aller vers des œufs plein air. La précédente mise aux normes a coûté 1 milliard d’euros. Il faudra cette fois 500 millions d’euros. Un engagement de 100 millions d’euros a été demandé à la grande distribution pour apporter la part d’autofinancement de 20 % nécessaire.