Il y a une surenchère de communication sur les produits bio : Carrefour annonce la multiplication par trois de son chiffre d’affaires dans le secteur d’ici à quatre ans, Leclerc se lance dans les magasins spécialisés et toutes les marques cherchent leur gamme bio, de préférence locale ! Cette dynamique est appréciable, l’industrie agroalimentaire ayant dix ans de retard sur les attentes des consommateurs.
Oui mais voilà, le temps de l’agriculture biologique, basé sur les cycles naturels, l’agronomie, la connaissance du vivant, n’est pas le temps court du marketing ! Avec une croissance à deux chiffres, le marché progresse plus vite que le nombre d’exploitations et attise les convoitises de ceux qui, il y a peu encore, ne voyaient aucun avenir pour le bio et ne juraient que par les OGM et les pesticides.
Pour quelle qualité de label ?
Si la réglementation prévoit un processus de certification de deux à trois ans pour obtenir le label AB, il faut en fait cinq à dix ans pour trouver un équilibre global sur la ferme. À vouloir aller trop vite, le marché pourrait bien casser son jouet !
Ce sont les fondamentaux techniques de la production bio qui font sa crédibilité, si importante pour la confiance des consommateurs. Plus le marché se tend, plus les prix montent et plus la pression de certains groupes industriels et coopératifs se fait sentir pour réduire les contraintes de notre cahier des charges, celui pour lequel les producteurs et les transformateurs bio historiques se sont battus !
Des élevages de 24 000 poules pondeuses où le parcours extérieur, s’il est rendu possible, n’est jamais effectif, et où l’alimentation ne peut être produite sur la ferme, représentent une menace pour la qualité du label, la confiance des consommateurs et la survie de nos fermes.
Ce n’est qu’au prix d’un long et coûteux travail d’adaptation de l’industrie aux spécificités de l’agriculture biologique que la qualité sera garantie pour le consommateur et l’équité pour les producteurs. Il faudra moduler les approvisionnements, adapter les variétés utilisées pour assurer les rendements et améliorer la résistance aux maladies, modifier les recettes, travailler sur les goûts, et surtout investir dans la recherche, alors que l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab) dispose d’un budget dix fois inférieur aux besoins réels.
Garder la cohérence
Arrêtons les discours angéliques : l’agriculture bio doit entrer dans une économie de massification. Mais en gardant sa cohérence technique et économique, afin de ne pas répéter les erreurs du conventionnel. Pour cela, il faudra : former les producteurs aux méthodes de l’agriculture bio et les accompagner pour qu’ils maîtrisent leurs coûts et gardent la valeur ajoutée créée ; renforcer les exigences du label AB et en faire un label mieux-disant que le label européen Eurofeuille sur lequel il est aujourd’hui aligné ; repartir sur des bases de contractualisation commerciales saines qui permettent aux producteurs de gagner leur vie correctement.
Les dirigeants des entreprises agroalimentaires et de la grande distribution ainsi que les élus nationaux et locaux ne doivent pas construire une bulle marketing bio, mais s’atteler, avec la filière, à un nouveau projet agricole et alimentaire riche de sens pour les citoyens, ancré dans les territoires, vivable et enviable pour les paysans et pour les entreprises ! »
(1) Stéphanie Pageot est éleveuse laitière bio en Loire-Atlantique et présidente de la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab).