SÉCURITÉ ALIMENTAIRE Oeufs contaminés : de la fraude au manque de transparence

Le ministère de l’Agriculture a publié, jeudi 17 août, la première liste de produits transformés contenant des œufs contaminés au fipronil. Douze jours après avoir été alerté par les Pays-Bas de la livraison d’œufs contaminés à deux fabricants français d’ovoproduits. Au-delà de la lenteur de la réaction des autorités, ce nouveau « scandale alimentaire » révèle des failles à un triple niveau : européen, français et industriel.

D’après la Commission européenne, 21 pays européens seraient aujourd’hui concernés, auxquels s’ajoutent Hong Kong, le Liban, et la Corée du Sud. C’est la Belgique qui a alerté en premier, via le système européen Rapid Alert System for Food and Feed (RASFF), d’un taux élevé de fipronil dans des œufs et des viandes de volailles, conventionnels et bio, le 20 juillet dernier.

Le fipronil est un produit utilisé contre les poux, les tiques et les acariens des animaux domestiques, mais il est interdit en Europe dans le traitement des animaux destinés à la consommation humaine. D’après le Réseau environnement santé, il s’agit d’un perturbateur endocrinien, c’est-à-dire d’une substance chimique susceptible de perturber le système hormonal. Selon les enquêtes belges, la contamination provenait d’un produit antiparasitaire falsifié, commercialisé sous l’appellation DEGA 16 par la start up néerlandaise ChickFriend, et utilisé pour traiter des poulaillers contre les « poux rouges ». Les poules puis les œufs auraient ensuite été contaminés par le fipronil. C’est donc d’abord une commercialisation frauduleuse qui est à l’origine de ce nouveau « scandale sanitaire ».

Les Pays-Bas avaient connaissance de la présence de fipronil dans des œufs néerlandais dès la fin novembre 2016

D’après l’Agence belge pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca), les autorités néerlandaises avaient connaissance de la présence de fipronil dans des œufs néerlandais dès la fin novembre 2016. « C’est initialement un défaut des Pays-Bas qui n’ont pas déclenché l’alerte », explique Ingrid Kragl, de l’association Foodwatch. Depuis, la Belgique et les Pays-Bas ont lancé une enquête judiciaire.

La France : 1er producteur européen

Les autorités françaises ont été de leur côté alertées les 5 et 6 août que 13 lots d’œufs contaminés avaient été livrés à deux fabricants d’ovoproduits dans la Vienne et le Maine-et-Loire. Les ovoproduits sont des œufs fournis sous forme liquide, congelée ou en poudre aux restaurateurs ou aux industriels de l’agroalimentaire. Ainsi, 40 % de la production française d’œufs-coquilles étaient transformés en ovoproduits en 2010, d’après FranceAgrimer.

La France est le premier producteur d’œufs en Europe : sa production représentait 15 % de la production européenne en 2015, devant l’Allemagne (12 %), l’Espagne (12 %), l’Italie (10 %) et les Pays-Bas (10 %). La France est aussi exportatrice nette d’œufs (elle exporte davantage qu’elle n’importe) : en 2016, elle a exporté 15 % de sa production et importé l’équivalent de 13 % de sa production. Concernant les oeufs en coquille, les premiers pays importateurs sont l’Espagne, les Pays-Bas et la Belgique. Pour les ovoproduits, viennent en tête des importateurs les Pays-Bas, devant l’Espagne et la Belgique.

En 2016, la France a produit 14,3 milliards d’œufs. Le ministère de l’Agriculture confirme l’information publiée par Le Canard Enchaîné1 : en 2016, 677 oeufs – seulement – ont été contrôlés. « Mais ce chiffre est réducteur », précise une porte-parole du ministère, « il s’agit du nombre de contrôles effectués dans le cadre des Plans de surveillance et plans de contrôle (PSPC)2. Auxquels s’ajoutent les contrôles de routine [les industriels sont obligés de réaliser des contrôles sanitaires et sont eux-mêmes contrôlés]. » Mais le nombre d’oeufs contrôlés dans le cadre de ces contrôles de routine n’est lui pas renseigné. « Nous ne parlons pas de scandale alimentaire, mais de fraude », explique le ministère.

Un début d’information aux consommateurs

A la date du 18 août, 40 grossistes, 16 établissements de transformation d’œufs ou d’ovoproduits et deux centres de conditionnement d’œufs, avaient reçu des œufs ou ovoproduits contaminés au fipronil. Leur liste a été publiée en ligne.

Par ailleurs, sur les 2 900 élevages français recensés, près de 2 200 producteurs ont retourné un questionnaire en ne faisant pas état de l’utilisation du produit DEGA 16. Ces informations sont confortées par près de 350 inspections en élevage pour le moment. Un bilan qui doit être complété à la fin du mois.

Concernant les produits transformés, le ministère de l’Agriculture a finalement publié sur son site une liste de produits dont le niveau de fipronil dépasse la « limite maximale de résidus » (LMR) à partir du 17 août.

« Les autorités françaises ont mis du temps à réagir »

« Les autorités françaises ont mis du temps à réagir »,estime Ingrid Kragl. Cette liste ne compte que 18 catégories de gaufres d’origine des Pays-Bas, mises sur le marché entre le 28 juin et le 1er août, et deux catégories de frangipanes en provenance de Belgique. Le ministère affirme qu’ils ont été retirés des rayons par les distributeurs qui doivent en informer les consommateurs dans les points de vente.En revanche, aucun produit n’a fait l’objet d’un rappel à ce jour en France. Contrairement à la Grande-Bretagne et à la Belgique notamment. La différence entre le retrait et le rappel est la suivante : en cas d’anomalie sans incidence sur la santé du consommateur, il est demandé aux professionnels (transformateurs et distributeurs) d’effectuer la traçabilité nécessaire pour retirer les produits des stocks et des rayons. Lorsque la santé du consommateur risque d’être mise en cause, en plus du retrait, un rappel est opéré auprès des consommateurs. Ainsi, les consommateurs peuvent détruire ou rapporter les produits.

Du côté des distributeurs, la Fédération du commerce et de la distribution a indiqué dans un communiqué le 16 août que « dès lors qu’un risque de contamination au fipronil a été identifié, les produits transformés contenant des œufs ont été retirés de la vente ou du stockage ». Sans préciser quels sont les produits concernés…

Les failles

« Dans ce scandale alimentaire, il y a eu des failles à trois niveaux : le système de traçabilité européen n’a manifestement pas fonctionné, il y a eu une insuffisance des contrôles et de la réactivité en France, et les fabricants et distributeurs n’ont pas assumé correctement leur responsabilité », analyse Ingrid Kragl de Foodwatch.

D’après l’Anses, Le fipronil a une toxicité modérée. L’Agence a évalué la quantité maximale d’œufs pouvant être consommée en une seule fois sans s’exposer à un risque aigu : elle varie de un (pour un enfant de 1 à 3 ans) à dix par jour (pour un adulte). Cependant, selon l’Agence, les produits dont la concentration en fipronil dépasseraient la LMR ne devraient pas être commercialisés ni maintenus sur le marché. « Il s’agit tout de même d’une substance interdite », souligne Ingrid Kragl. « Les consommateurs ont le droit de savoir si les produits qu’ils ont dans leur placard en contiennent ou pas ».

1.Dans son édition du 16 août 2017

2.Dans le cadre des PSPC, plus de 60 000 analyses sont réalisées par an, pour détecter 15 substances par produits.

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