Pourquoi les élevages suscitent-ils autant d’animosité ?

De plus en plus, l’implantation d’élevages d’animaux déclenche des oppositions, environnementales ou non, dans nos territoires. En plus de l’aspect économique, ces conflits posent la question du regard posé par les Français sur les agriculteurs et nos campagnes.

Nous devenons les responsables de tous les maux. » Le constat de cet agriculteur met en lumière le sentiment de culpabilité, de honte, du milieu agricole. De fait, pour ce sujet, nombre d’éleveurs contactés ont préféré témoigner anonymement, lorsqu’ils ne se taisaient pas… Honte d’être pointés du doigt. Honte de ne pas gagner leur vie tel qu’ils le mériteraient. Honte de devoir, parfois, produire des aliments de piètre qualité car il leur faut bien vivre…

Alors, quand les tensions se font fortes pour s’opposer à leur projet d’installation ou d’agrandissement d’un élevage, avec des mobilisations à coup de manifestation ou de pétition, la question taraude : pourquoi ? Actuellement, deux projets, dans l’Aisne et les Ardennes (lire ci-contre), agitent les campagnes, sachant que la Marne n’a pas été épargnée par de tels conflits… Tentons d’en esquisser les raisons.

1. Transparence

Bruit des animaux, des camions qui apportent leur nourriture ou repartent avec, odeurs… Les désagréments supposés d’un élevage hantent l’esprit de bien des riverains. « Justement, il ne faut pas avoir peur des réactions négatives alors que l’on n’a rien à cacher », avance Sébastien Manscourt, qui cherche à agrandir son unité de méthanisation, couplée à un élevage de truies, à Hartennes-et-Taux (Aisne). « Il faut jouer carte sur table, expliquer notre façon de travailler, pour ne pas rester sur les «on-dit». Cela évite que des personnes ne se fassent influencer. »

« Dans un supermarché, vous verrez des consommateurs de viande bas de gamme. Ce sont parfois les mêmes qui s’opposent à l’installation de nos élevages… »

Un producteur axonais de porcs

De fait, la situation s’avère plus simple lorsque le projet vise à augmenter la surface d’élevage. « Dans ce cas, les villageois connaissent l’activité et le peu de nuisances qu’elle entraîne », note Sébastien Dubois, qui va doubler son activité de poules pondeuses à La Neuville-en-Tourne-à-Fuy (Ardennes). « Ce qui n’empêche pas d’expliquer. Car les remarques sur les registres, lors des consultations du public, dénotent d’un manque d’informations ». Et puis, si des soucis apparaissent, « il ne faut pas être fermé mais répondre aux demandes, quitte à modifier le projet », rappelle un Sébastien Manscourt plein de bon sens. Toutefois, un éleveur de la Marne concède que, « oui, il y a des odeurs. Des améliorations sont toujours possibles pour les atténuer. »

« Tout le monde est en défiance vis-à-vis de tout le monde dans notre société », estime Thierry Huet, président de la FDSEA des Ardennes. « Si le paysan est bien intégré, cela se passe bien ». « D’ailleurs, c’est parfois juste un problème de personne », abonde Sébastien Manscourt. « Et face à des «anti-tout», on ne peut rien faire », renchérit Thierry Huet.

2. Respect animal

Les images de poules, vaches, cochons, maltraités tournent sur les écrans. « Tous les paysans ne sont pas au top, c’est vrai », convient Thierry Huet. « Mais ce n’est pas parce que certains parents maltraitent leurs enfants, que tous sont des Thénardier ! Oui, il existe des éleveurs maltraitants, mais tous ne pas des tortionnaires ! » Encore une fois, c’est par la communication et la transparence que cette image peut s’embellir. « Venez dans nos élevages », lance Sébastien Dubois, car « on ne peut être éleveur sans aimer les animaux ». Un comportement inverse serait d’ailleurs contraire à leur but. « Des animaux maltraités, sans parler de la mortalité ou des maladies, ne grandissent pas… » détaille un éleveur marnais.

3. Il faudra toujours des petits prix

« Allez dans un supermarché », interpelle un producteur axonais de porcs. « Vous verrez des consommateurs de viande bas de gamme. Parfois les mêmes qui s’opposent à l’installation de nos élevages… » « Tout le monde veut du label, du bio. Mais dans les faits, le consommateur fait selon son portefeuille, selon ses priorités », relève notre éleveur marnais de poules. Alors, cela ferait presque rire un autre éleveur axonais. « Les gens consomment des produits qui viennent de chez nous, car ils cherchent un prix dans les grandes surfaces, mais ne veulent pas que les élevages soient près de chez eux… C’est assez incompréhensible. » Du coup, « on produit selon la demande ! S’il y a une clientèle pour des produits bas de gamme… »

La raison économique s’applique totalement. « Si nous nous mettions à tous faire des produits labellisés ou bio, nous crèverions tous. Le marché n’est pas assez important vu le prix de revient ! » explique le Marnais. « Il faut aussi des productions standard. »

4. Développement durable

Allez, avouons-le, lorsque ces agriculteurs (car leur activité d’élevage est quasiment toujours adossée à la polyculture) évoquent développement durable et circuits courts pour leur production, cela prête à sourire…

«La campagne, ce sont des lieux de vie, de travail, pas des dortoirs»

Un éleveur marnais de poules

« Le marché existe ici. Alors, si nos productions ne sont pas réalisées localement, elles arriveront d’autres régions, ou même importées  », réplique sereinement Sébastien Dubois. Et pour appuyer encore son raisonnement, il souligne que « la nourriture de nos animaux est produite localement. Nous sommes vraiment dans un circuit court. » « Dans une aire de 200 km autour de nos départements, le bassin de population est énorme », martèle l’éleveur marnais de poules, « c’est durable ! » Et d’enchaîner que le fumier de ses poules épandé ensuite «  permet de faire 30 % d’économies par an sur les engrais pour mes polycultures tout en assurant la pérennité des sols… »

5. La campagne n’est pas DisneyLand

La conversation s’achève, mais Thierry Huet n’en a pas fini. « En tant que responsable syndical, mon rôle est de rappeler que la campagne n’est pas le terrain de jeu de citadins en mal de plein air. » Le ton de l’Ardennais est solennel. « L’acceptation de l’agriculture s’avère de plus en plus compliquée, souvent par des gens qui ne vivent pas depuis longtemps à la campagne, qui en ont une vision idyllique. »Ce constat, notre producteur marnais de poules le partage. « La campagne, c’est des lieux de vie, de travail, pas des dortoirs ! » Et l’homme de la terre de redouter que, « comme pour les activités industrielles, on veuille parquer l’agriculture. Or, la ruralité, c’est un lieu d’activités économiques diverses ». Et de lancer à ceux qu’il nomme des « doux rêveurs » que « nous avons une vision active de la campagne, pas que celle des vacances… »

Deux dossiers très chauds

Si la Marne ne connaît pas de bras de fer dans un dossier d’implantation actuellement, la situation s’avère bien plus tendue dans l’Aisne et les Ardennes.

À Coeuvres-et-Valsery près de Soissons, dans l’Aisne, le « collectif sud-axonais 2035 » a lancé une pétition, avec plus de 37 000 signatures, contre un projet d’élevage de 40 000 poules pondeuses en plein air sur 16 hectares. « Je respecte toute la réglementation », rétorque le porteur du projet. En fait, cet élevage se trouve juste sous le seuil nécessitant une autorisation, donc une procédure plus lourde.

Dans les Ardennes, à Saint-Morel (près de Vouziers), le projet d’un élevage de 40 000 volailles provoque des manifestations depuis plus de six mois. Trop près d’habitations, engendrant un fort trafic routier de camions et risque de pollution d’une pisciculture proche, arguent les opposants. Si l’enregistrement de l’installation a été validé le 21 décembre dernier, un recours au tribunal administratif a été formé.

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