Oeufs contaminés : l’ampleur du scandale toujours inconnue

ENQUÊTE – Alors que des résidus d’un nouvel insecticide interdit à la volaille ont été découverts dans une dizaine d’élevages en France, l’ampleur exacte de la fraude au fipronil reste inconnue.

Dans les couloirs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), le sujet prête parfois à dérision. “C’est le nuage du fipronil qui s’arrête aux frontières”, ironise en off un agent. Depuis le 5 août, date à laquelle les autorités françaises ont été prévenues de la présence d’œufs contaminés sur le territoire, la communication du gouvernement n’a pratiquement jamais dévié. La filière avicole française n’est pas impliquée, mais seulement “victime” d’une fraude orchestrée aux Pays-Bas par deux jeunes loups de l’agrobusiness, aujourd’hui sous les verrous. Vendredi, l’annonce par le ministère de l’Agriculture de la découverte d’un deuxième insecticide interdit pour les volailles, l’amitraze, retrouvé dans une dizaine d’élevages de poules pondeuses, écorne désormais la thèse d’un secteur “irréprochable”, selon les mots employés par le syndicat agricole FNSEA lors du début de la crise du fipronil. Des analyses sont en cours…

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Un “manque de contrôle et de transparence”

De son coté, l’ONG Foodwatch dénonce “l’opacité” de toute la filière. Pour Karine Jacquemart, directrice générale de l’antenne française, l’usage frauduleux du fipronil et de l’amitraze sont “deux exemples flagrants du manque de contrôles et de transparence”. Reste à savoir si ces substances, utilisées toutes deux comme traitements anti-parasitaires, ont suivi le même circuit de distribution.

À ce jour, en France, un seul éleveur du Pas-de-Calais a déclaré avoir utilisé du fipronil lors d’un vide sanitaire. De sources concordantes, l’insecticide lui a été fourni par un sous-traitant d’une entreprise belge implantée dans une commune néerlandophone et située en région flamande. Cette société, qui possède une domiciliation commerciale à Lille, fournit des poules à des éleveurs et se charge des suivis technique et sanitaire. Selon certains éleveurs du Pas-de-Calais, elle aurait travaillé avec d’autres aviculteurs du département, faisant planer le doute sur d’éventuelles autres utilisations du fipronil dans l’Hexagone. Loïc Évain, directeur général adjoint de l’Alimentation, assure pourtant que “les premières remontées des contrôles officiels exclut un usage du fipronil dans d’autres élevages français”. Selon le dernier bilan des enquêtes réalisées sur près de 2.900 élevages, près de 2.200 retours de questionnaires en filière pondeuse ne font pas état de son utilisation. Les services départementaux, qui ont mené 350 inspections, sont arrivés aux mêmes conclusions.

“Il y a une volonté politique de faire avant tout confiance aux industriels…”

Mais certains dénoncent les limites de ce système de contrôle largement basé sur les déclarations des éleveurs : “Avec les coupes dans les effectifs de fonctionnaires, nous n’avons plus les moyens de réaliser de véritables contrôles d’ampleur, déplore Emmanuel Paillusson, secrétaire général de Solidaires à la DGCCRF. Il y a une volonté politique, qui date de bien avant ce gouvernement, de faire avant tout confiance aux industriels…”
Sans parler ensuite du casse-tête pour remonter les filières de produits contaminés. À ce jour, seuls 32 produits destinés à la consommation (gaufres, pâtes, muffins, brownies…) ont été retirés des étals en raison d’une concentration en fipronil supérieure à la limite admise. “On sait qu’il y en a beaucoup plus”, peste Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne.

Évolutive, la liste du ministère de l’Agriculture devrait s’allonger dans les prochains jours, à mesure que les entreprises communiqueront les résultats des tests réalisés en laboratoire. Une gestion au compte-gouttes que dénonce Laurent Pinatel : “Si le ministre [Stéphane Travert] avait tapé du poing sur la table, on aurait retiré les produits en quelques jours.” En colère, il ajoute : “À la place, on a décidé de privilégier les intérêts économiques. Plus on attend, plus ces lots sont consommés, moins les grands groupes perdent de l’argent.” Un tableau contesté par Caroline Marchetti, consultante en communication dans le milieu de l’agro-alimentaire, qui estime au contraire que le ministère a bien géré une crise “compliquée en matière de traçabilité”. Elle explique : “Dans ces conditions, la seule question qui vaille, c’est de savoir s’il y a un risque sanitaire pour le consommateur.”

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