Présents partout dans notre environnement depuis l’après-guerre, ces produits chimiques aux effets très variés sont principalement utilisés pour éradiquer les espèces «nuisibles». Mais la dénomination cache en réalité une multiplicité de molécules, de fonctions et d’effets.
Glyphosate, sulfoxaflor, fipronil : qu’entend-on par pesticides ?
Glyphosate, néonicotinoïdes comme le sulfoxaflor ou chlorpyriphos-éthyl : ils ont tous des noms à coucher dehors et font la une des journaux du fait des scandales sanitaires et environnementaux qu’ils génèrent dans les pays consommateurs. Décriés pour leurs conséquences sur la santé et la biodiversité, les pesticides sont partout présents dans notre environnement – dans l’air, dans l’eau, dans nos aliments et même notre corps.
C’est le cas du glyphosate, la substance active du Roundup de Monsanto et ses génériques, dont le renouvellement (ou non) de l’autorisation doit être votée ce mercredi par les Etats membres de l’Union européenne, après que le Parlement européen s’est prononcé ce mardi pour sa disparition d’ici cinq ans. L’herbicide le plus consommé au monde est cependant l’arbre qui cache la forêt des pesticides. Très diverses, ces centaines de substances chimiques massivement utilisées dans l’agriculture conventionnelle (mais pas seulement) ont des fonctions chimiques et des effets biologiques très différents. De quoi en perdre son latin et imposer un décryptage.
Pesticides, de quoi parle-t-on ?
Tout d’abord, le mot pesticide est un anglicisme. Il est composé du mot «pest», pour «nuisible» dans la langue de Shakespeare, et du suffixe dérivé du latin «-cide», pour «tuer». A ce terme «grand public» dont l’étymologie est sans équivoque, des scientifiques et les industriels préfèrent celui de produits «phytosanitaires» ou «phytopharmaceutiques», c’est-à-dire, littéralement, des produits chimiques très utilisés dans le monde agricole dont la substance active comme le glyphosate permet de protéger la bonne santé de la plante. Sous l’appellation de «phyto», on retrouve alors trois grandes catégories de substances : les herbicides (pour lutter contre les «mauvaises herbes»), les insecticides (contre les insectes) et les fongicides (contre les champignons).
Il existe en vérité autant de biocides – c’est le terme français – que d’«indésirables» déclinés en des centaines de produits dans les rayons des hypermarchés pour les professionnels comme les particuliers : les nématicides (pour lutter contre les vers), les algicides (contre les algues), les acaricides (contre les acariens), les rodenticides (contre les rongeurs), les taupicides (contre les taupes), les molluscicides (contre les limaces), les corvicides (contre les corbeaux et corneilles), etc. Ajoutons que ces pesticides peuvent avoir d’autres types d’effets que l’éradication desdits «nuisibles» : ils peuvent avoir un effet répulsif et désinfectant et, pour certains phytosanitaires, un effet de régulation de la croissance des plantes, un effet défoliant (autrement dit qui permet de faire tomber les feuilles en stoppant la photosynthèse) ou dessicant (pour résumer déshydratant). Sont-ils seulement chimiques ? Non, car il existe aussi des pesticides dits naturels ou bio, comme les coccinelles contre les pucerons, ou le purin d’ortie, un insecticide mais aussi un engrais pour les plantes.
Quels sont les pesticides les plus consommés en France ?
Dans l’Hexagone, ces substances chimiques sont consommées en grande quantité dans l’agriculture conventionnelle depuis l’après-guerre. Ainsi, selon le rapport d’information du Sénat, «Pesticides : vers le risque zéro» daté de 2012, leur consommation a doublé tous les dix ans entre 1945 et 1985 dans un contexte de «généralisation» de leur utilisation au niveau mondial. Malgré les deux plans Ecophyto, lancés en 2008 puis en 2015 pour réduire le recours aux produits phytosanitaires, celui-ci a cessé de diminuer et repart même à la hausse ces dernières années. Entre 2009 et 2014, comme l’indique Reporterre,le nombre de doses unités «Nodu» a même crû de 25% – 20% en sept ans – selon les données communiquées par le ministère de l’Agriculture.
«Dans les faits, les substances actuelles sont de plus en plus concentrées et efficaces», souligne par ailleurs Carmen Etcheverry, chargée de mission agriculture auprès de France nature environnement (FNE). Notons que la France, premier consommateur européen de pesticides en valeur absolue en raison de sa surface agricole, a en majorité recours aux fongicides (45% des 63 millions en tonnes vendues), puis aux herbicides (40% des ventes en tonnes) selon les dernières statistiques du Commissariat général du développement durable pour 2 900 produits commercialisés en 2013. Concernant l’Europe, selon le Pesticides action network, les herbicides comme le glyphosate représentent 33% des ventes de pesticides à eux tout seul.
Quels sont leurs effets sur l’environnement et la santé ?
Pas de doute : les pesticides toutes catégories confondues en raison de leur logique même ont des conséquences néfastes pour les êtres vivants (homo sapiens compris) et les écosystèmes. «La définition même d’un pesticide est d’être nocif pour des organismes vivants, souligne le rapport sénatorial précédemment cité. Quand bien même un pesticide serait conçu pour avoir une action sélective sur un type de parasites donné, il est toujours possible de constater des effets délétères sur d’autres espèces.» C’est notamment le cas des insectes volants, essentiels à la pollinisation, dont 80% auraient disparu en Europe en trente ans selon une étude allemande, principalement à cause des pesticides agricoles. Les abeilles ont particulièrement souffert des néocotinoïdes, à base de nicotine, comme le controversé sulfoxaflor, qui agissent sur leur système nerveux, et leur déclin est depuis longtemps jugé très inquiétant pour l’état de la biodiversité. Une étude récente d’UFC-Que choisir, à partir de données fiables, pointe la rémanence des pesticides dans la moitié des eaux des rivières françaises à «des doses supérieures à la norme autorisée dans l’eau potable» ainsi que dans «le tiers des nappes phréatiques».
Voilà pour l’environnement. Et pour la santé humaine ? Les pesticides «sont présents dans tous les compartiments de notre environnement et l’utilisation domestique contribue à l’exposition globale à ces produits», précise sur son site l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). En 2013, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a conclu à partir de la littérature scientifique internationale des trente dernières années qu’«il semble exister une association positive entre exposition professionnelle à des pesticides et certaines pathologies chez l’adulte : la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate et certains cancers hématopoïétiques [liés aux cellules sanguines, ndlr].»Sans compter les dangers et les risques rassemblés dans une «liste à la Prévert» et qui touchent en premier les lieux les agriculteurs eux-mêmes : intoxications chroniques dues à l’exposition au quotidien et sur le long terme à des faibles doses, asthme, diabète, cancers, problème de fertilité, perturbations du système hormonal, etc.
Quels pesticides sont interdits aujourd’hui en France ?
A l’heure actuelle, la législation sur les pesticides est très morcelée, certaines molécules étant autorisés, certaines interdites sauf dérogation et d’autres entièrement interdites comme l’atrazine, un herbicide cancérigène, depuis 2001. Le DDT, très utilisé à partir des années 50 mais dont on peine encore à voir l’ensemble des conséquences pour la santé, a été l’un des premiers insecticides neurotoxiques interdit pour l’agriculture en France en 1971. Depuis la loi biodiversité de juillet 2016, le recours aux pesticides «tueurs d’abeille» (comme les marques Gaucho et Cruiser), qui représentent 40% des insecticides utilisés, est interdit à compter du 1er septembre 2018. Par ailleurs depuis le 1er janvier, les collectivités ont interdiction de pulvériser des produits chimiques, pesticides, fongicides et herbicides, dans l’espace public et la plupart des produits phytosanitaires comme le Roundup ne pourront plus être distribués en libre-service dans les jardineries.
«Toute une flopée de molécules toxiques ont été interdites depuis les années 70, observe l’agronome de France nature environnement Carmen Etcheverry. Mais chaque année, ce sont une centaine d’autres qui sont autorisées à être mises sur le marché.» En France, comme pour les médicaments, c’est l’Anses qui délivre de manière indépendante cette autorisation depuis 2015 en évaluant la toxicité et la valeur ajoutée d’une molécule à partir des données exploitables. Or, la semaine passée, l’annonce de l’autorisation de la mise sur le marché de deux pesticides «tueurs d’abeilles» à base de sulfoxaflor (finalement suspendue) a surpris jusqu’aux ministères puisqu’elle allait à l’encontre de l’interdiction de ces substances inscrites noire sur blanc dans la loi. Et puis les résidus de pesticides prohibés en France passent aisément les frontières au sein de l’UE. Ce fut le cas du fipronil, à l’origine d’un énième scandale de l’agro-industrie cet été. Depuis 2004, l’utilisation de cet insecticide antiparasitaire très utilisé sur les animaux domestiques est interdite pour les agriculteurs français, en raison du risque de surmortalité qu’entraîne ce puissant neurotoxique chez les abeilles. Une législation qui n’a pas empêché des œufs et ovoproduits contaminés de se retrouver dans les rayons des supermarchés.