Des poussins broyés, des cochons gazés, des bovins égorgés. Voilà une décennie qu’elle bouscule la France avec des images plus choquantes les unes que les autres, comme celles filmées à Alès en 2015.
Mais, chez L214, fini le système D. Depuis 2015 et ses images clandestines filmées à l’abattoir d’Alès, l’association grossit à vue d’œil. Les scènes insoutenables de mises à mort d’animaux n’ont pas entraîné que la fermeture provisoire de l’établissement gardois (*).
Les dons ont été dopés. De 1 300 € en 2008 à la création de l’association, ils avaient atteint 470 000 € en 2014. Ils ont grimpé de 1 M€ à 2,5 M€ entre 2015 et 2016 pour se hisser à 3,5 M€ en 2017. Soit près de 10 000 € par jour.
Radicale à souhait, reine du buzz et du happening, L214 est à la protection animale ce qu’Act Up est à la lutte contre le sida. Elle cristallise l’attention et déchaîne les passions. “C’est comme Closer, c’est pour faire du trash et attirer le lecteur”, s’insurge Marie-Pierre Pé, déléguée générale de l’interprofession du foie gras, dans L’Express.
Mais l’association ne se contente pas d’affoler les compteurs sur Youtube. L214 rêve d’un monde sans viande, ni œufs, avec une appétence pour le véganisme (pas de produits issus des animaux ou de leur exploitation) et l’antispécisme (qui ne place pas l’espèce humaine avant les autres).
Une finalité assumée. “L’alimentation végétale est en plein essor et je pense que L214 n’y est pas pour rien”, revendique même Camille Ots, responsable du réseau des antennes locales. L’association affirme pourtant ne pas fermer sa porte aux mangeurs de viande. Mais ils finissent généralement par la bannir de leur assiette, remués par leurs propres campagnes chocs à l’anglo-saxonne.
Infiltration, drone et caméras cachées
“Les vidéos sont le meilleur moyen qu’on a trouvé de montrer ce qui se passe et de prouver ce qu’on dit, explique Brigitte Gothière. Face à nous, on a un rouleau compresseur, des entreprises avec des millions d’euros de budget de com. On n’a que la réalité à opposer.”
Avec des méthodes bien à elles. Infiltration comme employé dans un abattoir, captation d’images avec un drone… les tactiques de son équipe d’investigation fleurent bon le roman d’espionnage. Mais sa première mission est de trier. “De plus en plus de personnes nous proposent des documents, nous recevons trois signalements par semaine, confie Brigitte Gothière, on nous contacte même parfois pour nous dire qu’un voisin a des lapins en cage…”.
Habituée des prétoires, l’association prend des précautions. “Nous demandons à nos lanceurs d’alerte de filmer les détails qui vont identifier un abattoir, une position GPS sur un téléphone et aussi un journal”, pour montrer que les images ne sont pas antérieures.
En février, l’association volera au secours des poules en batterie. Mais sans donner, cette fois, dans le film nauséeux. Les anti-abattoirs pétitionneront, avant d’approcher des députés dans l’Hérault, comme dans de nombreux autres départements, pour les inciter “à soutenir une interdiction totale de l’élevage en cage des poules pondeuses”.
Avec ses 45 salariés et ses 49 comités locaux créés en quelques années, la remueuse de consciences peut plus que jamais se permettre ce genre de lobbying à grande échelle. Mais elle n’a pas renoncé à ses vidéos chocs en caméra cachée.
“Ils sont condamnés à s’essouffler”
“Tout le monde s’insurge, moi le premier, quand on voit des images dégueulasses dans certains abattoirs, reconnaît André Viard, président de l’Observatoire national des cultures taurines, mais la limite, c’est quand ils vous expliquent que pour arrêter ça, il faut arrêter de manger de la viande. Là, ils ont tombé un masque qu’ils n’auraient jamais dû tomber, je ne pense pas que la société française soit prête à les suivre jusque-là, donc, à mon avis, ils sont condamnés à s’essouffler.”
André Viard va devoir patienter. En un peu plus de deux ans, le nombre d’adhérents de L214 a triplé. Ils sont 29 000 aujourd’hui.