Agriculture. Le bio gardera-t-il ses valeurs ?

Ce samedi s’ouvre, porte de Versailles, à Paris, le salon de l’agriculture. L’occasion de donner un coup de projecteur sur la filière bio, un secteur dynamique porté par un engouement croissant des consommateurs. Seule ombre au tableau, le risque de dérives, comme la surproduction, pour répondre à la demande. Le bio restera-t-il fidèle à lui-même ?

L’avenir sourit au bio. Avec 6,5 % de la surface agricole utile et un objectif de 15 % à l’horizon 2022, l’agriculture biologique s’installe dans la campagne française pour répondre à une demande en plein boom. Mais jusqu’où pourra-t-elle se développer en restant fidèle à ses valeurs ?

PHOTO FRANCOIS DESTOC / LE TELEGRAMME VANNES (56) : magasin Bio et produits biologiques Bio Golfe Biocoop rayon boucherie viande

Un secteur dynamique

Même si c’est un peu plus cher, les consommateurs achètent du bio et en redemandent. Le bio est le secteur le plus dynamique de l’agroalimentaire. En 2017, le marché des produits alimentaires biologiques dépassait 8 milliards d’euros, 16 % de plus qu’en 2016. Le nombre de producteurs progresse également. Ils sont plus de 36.000 agriculteurs (8,3 % des fermes françaises) à avoir adopté ce mode de production. La Bretagne n’est pas en reste avec ses quelque 2.625 fermes et de nombreuses conversions et installations en projet.

Avec une telle croissance, le bio change d’échelle. Si ce développement profite aux opérateurs bio historiques, il attire également les opérateurs conventionnels de plus en plus nombreux à développer des gammes bio sous la pression de leurs clients de la grande distribution, très présente sur ce secteur prometteur. Dans le porc, des groupements de producteurs, comme le Gouessant ou la Cooperl, démarchent des éleveurs pour créer leurs propres filières bio. Du côté des poules pondeuses, les projets d’élevages, bio ou plein air, fleurissent. Pas étonnant car le temps presse, la plupart des distributeurs s’étant engagés à ne plus vendre d’oeufs issus de poules en cage.

« De la transparence et des engagements »

Cette évolution est suivie de près par la Fédération régionale de l’agriculture biologique (FRAB) qui craint certaines dérives, à commencer par la surproduction. C’est déjà arrivé, il y a plusieurs années, dans la production laitière… Elle craint aussi que la qualité du bio soit tirée vers le bas par un contournement du cahier des charges au détriment du bien-être animal et de l’autonomie des exploitations et des producteurs. « Il faut de la transparence et des engagements. Le bio, c’est une opportunité, il faut que cela le reste. Si, demain, il reproduit les schémas conventionnels, cela n’aura aucun intérêt ni pour le producteur ni pour le consommateur qui ne s’y trompera pas », insiste Julien Sauvée, vice-président de la FRAB.

Un projet d’élevage contesté

À Renac, au sud de Rennes, un gros opérateur de l’oeuf a proposé à deux producteurs un élevage, clés en main, de 24.000 poules bio sur une surface de 90 hectares dont une partie seulement serait convertie en bio. Ce projet est vivement contesté par la FRAB au nom du bien-être animal mais pas seulement. L’autonomie de l’exploitation et le lien de la production au sol sont des valeurs chères à l’éthique bio. « Théoriquement, il faudrait 1.000 tonnes de céréales bio pour nourrir ces 24.000 poules, soit environ 350 hectares. Où cet opérateur ira-t-il s’approvisionner ? », s’interroge Julien Sauvée.

La grande distribution est devenue également un grand acteur du bio. La filière bio n’y voit, a priori, aucun inconvénient. « Aujourd’hui, nous n’avons pas de difficultés particulières avec les distributeurs car le marché est porteur. Nous sommes dans une position favorable », reconnaît Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération nationale de l’agriculture biologique. Pour autant, l’éleveuse de Loire-Atlantique estime qu’il faut repenser les relations commerciales avec les enseignes dans l’esprit du commerce équitable. « En bio, c’est la guerre du prix le plus juste, pas le plus bas. Notre chance, c’est que les consommateurs veulent consommer des produits français. »

EN COMPLÉMENT
Une crise de croissance

Frédéric Denhez, auteur du livre « Le Bio au risque de se perdre » (Buchet Chastel), a identifié les menaces qui pèsent sur l’avenir du bio.

Pourquoi le bio risque-t-il de se perdre ?
Il risque de se perdre s’il n’arrive pas à affronter la crise de croissance qui devrait lui profiter parce que le marché s’ouvre, enfin, à lui, après 45 ans de militantisme. Mais, en même temps, il est confronté à des contradictions internes. Le monde du bio est un monde essentiellement militant qui a du mal avec l’argent et la professionnalisation. La passation des entreprises n’a pas été anticipée. Leurs dirigeants se retrouvent dans l’incapacité de céder leur entreprise sans être certains que la philosophie initiale ne sera pas galvaudée par un repreneur issu du monde financier. Deuxièmement, le bio risque de se perdre s’il se résume définitivement à un cahier des charges qui n’est pas très restrictif. Il dit aux producteurs qu’ils doivent faire attention à tout mais leur seule obligation, finalement, est de ne pas utiliser de pesticides. Du coup, il n’est pas une grande menace pour la distribution qui, son modèle économique s’effondrant, essaie de transformer le bio en nouveau conventionnel ou en marché de niche très rémunérateur.

Le danger, c’est donc que le modèle conventionnel soit transposé au bio ?
Exactement. Normalement, le bio rémunère très bien les producteurs tant que ce sont eux qui forment les prix. La filière bovine, par exemple, est encore aux mains des éleveurs, la demande est tellement énorme que la grande distribution est obligée de passer par eux. Dans toutes les productions pour lesquelles il y aura un besoin qui ne sera pas assuré seulement par les agriculteurs français, la grande distribution fera jouer la concurrence et tirera les prix vers le bas. La seule façon d’équilibrer les rapports, c’est la contractualisation. Propos recueillis par F. L. G.

Un éleveur bio : « Des partenariats mais pas à n’importe quel prix »

Patrick Guillerme, 57 ans, est éleveur laitier à Theix, dans le Morbihan, depuis 1985 (en bio depuis 1992). Il estime que développement du bio et grande distribution ne sont pas incompatibles. « La grande distribution n’est pas homogène. Chaque enseigne a sa stratégie, sa philosophie. Certaines, c’est clairement le prix le plus bas. D’autres ne sont pas sur la même longueur d’ondes et, depuis des années, aident des producteurs, en particulier laitiers, à se convertir en bio. Il y a d’autres exemples de ce type qui montrent qu’il peut y avoir des partenariats intelligents qui vont au-delà de la logique du rapport de forces », affirme Patrick Guillerme, qui exploite, avec ses deux frères et, depuis peu, un neveu, une ferme de 115 hectares (dont 107 en herbe). Les 70 laitières assurent une production de 300.000 litres par an, les 350.000 étant visés à l’horizon 2020.

Respecter l’équilibre

Des partenariats, soit. Mais pas à n’importe quel prix, insiste l’éleveur. Le Morbihannais estime que l’expansion du bio repose sur des relations équilibrées entre les partenaires, « basées sur un cahier des charges exigeant, visant à une augmentation constante de la qualité. L’équilibre doit aussi être maintenu en matière de distribution, entre la vente directe, de proximité (marchés), les magasins spécialisés (type Biocoop) et la GMS (grande et moyenne surface) afin qu’aucun acteur ne soit hyper dominant. Ce n’est que si ces conditions sont respectées que l’engagement de la grande distribution peut être une chance pour le développement du bio ».

Un contrat de confiance

Car le contexte a changé : la grande distribution est fragilisée et les adeptes du bio plus nombreux : « Quand on a commencé, nous ne représentions que 1 % des agriculteurs. Nous atteignons les 8 %, désormais en Bretagne, et bientôt (2020) 10 %. 2.625 fermes bretonnes travaillent en bio (+ 13 % en un an) soit le triple en dix ans. » Ces chiffres traduisent également les nouvelles attentes des consommateurs : « Pour 60 %, faire ses courses en grande surface est devenu une corvée et ils réclament un lien direct avec le consommateur. Par ailleurs, pour 70 % d’entre eux (50 %, il y a dix ans), le prix bas n’est plus l’élément déterminant ». Le succès des magasins bio le démontre. Mais, tempère Patrick Guillerme, « la clé du développement du bio réside dans ce contrat de confiance avec le consommateur. À nous tous de faire en sorte de le conserver. Le jour où on le perd, c’est la fin ».
Hervé Queillé

Le bio, c’est quoi ?

Pas de produits chimiques de synthèse, pas d’OGM. L’agriculture biologique est un mode de production et de transformation respectueux de l’environnement, du bien-être animal et de la biodiversité. Les aliments bio sont produits à partir d’ingrédients cultivés sans produits chimiques de synthèse et sans OGM. Ils ne contiennent ni exhausteurs de goût, ni colorants, ni arômes chimiques de synthèse. L’utilisation d’additifs est fortement limitée.
De l’espace pour les animaux. L’élevage respecte le bien-être des animaux et fait appel, en priorité, aux médecines douces. Les animaux disposent obligatoirement d’espace et d’un accès au plein air. Ils sont nourris avec des aliments bio principalement produits sur l’exploitation.
Des contrôles réguliers et des sigles officiels. Les produits bio sont contrôlés à tous les stades. En plus des contrôles habituels s’ajoutent des contrôles spécifiques à la filière bio, réguliers et inopinés, réalisés par un organisme indépendant agréé par les pouvoirs publics. En France, il existe neuf organismes certificateurs. Le logo bio européen, obligatoire depuis 2010 dans tous les pays de l’Union, garantit que le produit respecte les règles de l’agriculture biologique. À titre facultatif, le sigle officiel français AB, ainsi que d’autres sigles de certification privés (Demeter, Bio Cohérence, Nature et Progrès), peuvent y être ajoutés. Les produits transformés bio doivent comporter plus de 95 % d’ingrédients bio. (Source Agence bio) Photo François Destoc

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