Animaux : un bien-être à géométrie variable dans l’Union européenne

L’Union européenne a beau avoir produit des directives sur le bien-être animal, dans les faits, batteries de poules hors-sol et mauvaises conditions de transport et d’élevage ternissent son image. Son modèle peine d’ailleurs à s’imposer à l’étranger.

Le 26 juin sera examinée au Sénat français la loi agriculture et alimentation. En première lecture, à l’Assemblée nationale, fin mai, le projet de loi avait beaucoup déçu les défenseurs des animaux. Pour ces derniers, la France est loin d’être un modèle en Europe pour nos amis les bêtes. Le compte des amendements protecteurs n’y est pas, selon les associations : pas d’obligation de vidéos dans les abattoirs, la castration à vif des porcelets et le broyage des poussins mâles toujours possibles.

“La loi sert l’ensemble des Français. On castre les porcs pour éviter le mauvais goût. On est en train d’étudier si, scientifiquement, on pourrait empêcher ce goût autrement”, s’est défendu le rapporteur du projet de loi, le député La République en marche Jean-Baptiste Moreau. Cet agriculteur de la Creuse défend la sauvegarde des filières agricoles : “Si on impose des normes, nos producteurs ne pourront plus suivre et on va acheter à l’étranger, alors qu’ils ne respectent pas les mêmes normes que nous”. La solution, selon lui, est à chercher en dehors de la France : “On ne peut pas trouver de solutions franco-françaises. Il faut agir au niveau européen”.

Mais c’est justement au niveau européen que le bât blesse. Les beaux discours, les législations et la pratique se contredisent parfois. La première directive de 1974 sur l’étourdissement des animaux avant abattage est toujours en place et globalement bien appliquée par les pays membres. Depuis celle-ci, se sont succédé des dizaines d’autres textes pour mieux protéger les animaux, propulsant l’Europe en champion de la réglementation. La dernière  en date : celle visant à la restriction du recours aux antibiotiques, sur laquelle les institutions se sont accordées début juin. “Le Parlement européen a insisté pour qu’on insère cette notion de bien-être animal, explique la rapporteuse et eurodéputée Françoise Grossetête (Les Républicains), car les bonnes pratiques d’élevage sont importantes et elles réduisent d’ailleurs l’usage des antibiotiques.” Désormais, la surconsommation d’antibiotiques, distribués pour booster la croissance ou soigner et prévenir des malades des troupeaux entiers, est interdite.

“Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres”

Cette volonté européenne de protéger les espèces animales a connu son apogée entre les années 1990 et 2000. Du transport des animaux, à la protection des porcs ou des veaux pendant leur vie et jusqu’à leur mise à mort, la production législative s’est accélérée. Cependant, à partir de 2010, l’accent est mis sur la production intense, et la compétitivité agricole de la Politique agricole commune (PAC). Alors que la PAC conditionne les subventions versées aux agriculteurs à certaines règles et normes, “le respect du bien-être animal ne rentre en ligne de compte que pour trois textes : le premier sur les animaux de ferme à la terminologie très vague, le second pour les porcs et le troisième pour les veaux”, déplore Stéphanie Ghislain, chef de projet “Bien-être animal” pour l’association de protection des animaux basé à Bruxelles, Eurogroup for Animals. Du coup, quid de la protection des animaux dont il n’est pas nommément fait mention ? “Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres”, écrivait George Orwell, dans “La Ferme des animaux”. C’est particulièrement vrai pour l’UE.

En résulte une situation ubuesque, surtout pour les poules pondeuses. Malgré une prise en compte par trois directives, sur leur sort en batterie ou non, de 1986, 1988, puis 1999, elles sont mal protégées. En effet, la délivrance d’aides par la PAC à un éleveur de poules n’est pas subordonnée au respect de conditions de vie suivant les normes européennes. Les Autrichiens, de leur côté, ont préféré faire place nette : ils ont remis les poules au sol en interdisant totalement l’élevage en cage. Cette idée, d’abord décriée par les éleveurs, a ensuite été perçue comme un juste milieu : un compromis entre un élevage intensif, où les poulets n’ont pour seul paysage que l’inconfort d’une cage grillagée qu’ils partagent avec d’autres volatiles estropiés, et le modèle économique, trop cher dans un milieu si concurrentiel, des poules élevées en plein air.

Malgré l’exemple autrichien, les mauvaises pratiques persistent. En juin, l’association française de défense animale L214 a diffusé des vidéos tournées clandestinement dans un élevage du volailler Maître CoQ. La marque, qui se targue de son dévouement pour le bien-être, met certes ses poulets au sol, mais le spectacle n’est pas réjouissant : on voit sur les images volées des poulets partiellement déplumés, boîtant sous le poids de leur propre corps et entassés dans des conditions contraires aux recommandations de l’Union européenne. L’accumulation des déjections au sol est à l’origine d’une teneur élevée en ammoniac, qui provoque des problèmes de santé notables chez les animaux. L’association L214 collecte les preuves pour démontrer que ces poulets sont nourris aux antibiotiques pendant leur croissance et jusqu’à leur abattage. Pourtant Maitre CoQ assure sur son site Web ne donner à ses animaux des antibiotiques qu’en dernier recours.

Des animaux, victimes du mal des transports

Autre point sensible, le transport des animaux : là aussi, des progrès restent à faire. Si la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) impose d'”assurer le transport sans souffrance inutile à l’animal”, une directive européenne de 2005 prévoit des conditions de transport qui sont difficilement applicables en réalité. Les animaux sont souvent en surnombre, incapables d’atteindre les points d’eau du camion et patientent, parfois des heures, surtout quand il s’agit de passer les frontières extérieures de l’Union. Ces conditions de transport ont été étudiées par des députés européens et l’Eurogroup for Animals lors d’un rapport de mise en œuvre. Ils pointent des manquements aux instructions de l’UE, et le peu de contrôles. Le manque de moyens pour mettre en place ce projet est criant – du côté des institutions, comme du côté des transporteurs. Pour Stéphanie Ghislain, “c’est quelque chose que l’on devrait changer par des solutions comme des abattoirs mobiles”. En cela, elle est rejointe par le monde associatif, qui exhorte à trouver des solutions plus humaines pour le transport de nos animaux.

Il ne faut cependant pas oublier que ces normes imposées par l’UE ont un poids sur les agriculteurs, comme le rappelle Marc Tarabella, député européen belge socialiste : “L’Europe est à la pointe au niveau du bien-être animal par rapport au monde, donc ne nous flagellons pas non plus. On a fait énormément de progrès et, parfois, il y a un reportage qui fustige une attitude et qui jette l’opprobre sur tout un secteur de plus en plus attentif au bien-être animal”. Les agriculteurs européens doivent en effet répondre à des règlementations bien plus sévères que celles de nos partenaires commerciaux comme le Canada. Le CETA, accord de libre-échange conclu entre l’UE et le Canada, fait courir le risque de retrouver chez nos bouchers des produits hors-normes. Effectivement, il n’y est prévu aucune réglementation contraignante sur le bien-être animal et des produits interdits par l’UE dans le traitement médical et alimentaire des animaux y sont utilisés.

Labéliser le bien-être animal ?

La situation est d’autant plus alarmante, si l’on regarde nos échanges avec la Chine : des produits européens se voient refuser le marché chinois car l’expérimentation animale y est obligatoire en matière de cosmétique, alors que celle-ci est interdite dans l’Union depuis 2013 ; et sans accord entre les deux puissances économiques, il y a peu de chances de voir la règlementation chinoise évoluer dans les prochaines années. L’Europe tente pourtant d’imposer la réciprocité dans ce domaine. Les parlementaires ont voté une loi en ce sens, début mai, pour faire des normes européennes d’interdiction de l’expérimentation animale pour les cosmétiques les normes de référence pour le commerce mondial.

Faudrait-il alors développer un label européen pour garantir le respect des normes en matière de protection animale ? Pour Marc Tarabella, c’est une évidence, il faut “un label clair et contrôlé et s’il y a contravention par rapport au label, une sanction très dure” sera appliquée. La représentante d’Eurogroup for Animals renchérit : “Pour nous, il faut que ce label aille plus loin que la législation européenne actuelle, il serait aberrant d’avoir une appellation qui dit juste ‘respect des normes européennes’.” Si tout le monde ne s’accorde pas sur les conditions d’application d’un tel label, l’ensemble des acteurs du domaine semblent être attachés au respect du droit européen existant. Thomas Waitz, député européen écologiste, insiste : “Il faut d’abord faire respecter la législation actuelle avant d’en prévoir une nouvelle”.

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